Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Adèle Chartier

Derniers commentaires
13 avril 2017

Bonjour à toutes et tous ! Changement de site :

Bonjour à toutes et tous !

Changement de site : retrouvez-moi sur anaisgrockowiakblog !

A très vite !

Publicité
22 octobre 2016

Les écorchés - extrait

DSCF9517

"Il avait senti monter la nausée. Ses mains avaient agrippé le rebord de la table. Le coup de poing était parti. Il avait sursauté. Il était blême et tendu. Maman était par terre, allongée. Papa avait marché vers elle, et lui avait donné un coup de pieds. Puis il s’était abaissé, et avait frappé maman à la tête, qui protégeait son crâne de ses bras nus et bleuis.
          Il ne savait pas quoi faire. A chaque fois, c’était comme s’il était bloqué, paralysé, incapable de penser. Son corps ne répondait plus, pas plus que son esprit, qui demeurait larvaire dans des sortes de limbes. Il voyait, il entendait, mais tout cela semblait venir de très, très loin. Une étrange sensation, mêlée à une impression de déjà-vu, qui le révulsait.
          Teddy respirait plus fort, plus vite aussi. Sa respiration sifflait, si bien qu’on aurait pu croire qu’il était en train de faire une crise d’asthme. Mais ce n’était pas cela, il se reprenait toujours. Il se reprenait toujours avant que ça ne craque. Il se reprenait en voyant soudain la porte, cette porte si proche qu’il suffisait de franchir, cette porte qui lui permettait de courir tout son soul, faire baisser l’adrénaline, et se calmer, enfin, pour quelques heures.
          Il était allé chez madame Leblanc, il avait attendu quelques heures. Puis, son père était venu le chercher sans rien dire, et il l’avait suivi. Il l’avait mis au lit, et Teddy avait entendu l’eau couler dans la salle de bain. Mais maman n’était pas venue. Il avait eu peur, au début ; puis, usé par la fatigue et la tension, il s’était endormi."

Les Ecorchés by Anaïs Grockowiak (Paperback) - Lulu

You must be logged in to post a review. Please log in There are no reviews for the current version of this product There are no reviews for previous versions of this product Lulu Staff has been notified of a possible violation of the terms of our Membership Agreement.

http://www.lulu.com
21 octobre 2016

Les Ecorchés - première page

Pour vous faire découvrir un peu de cet univers, voici les premières lignes du chapitre 1 de mon nouveau roman Les Ecorchés.

DSCF9517

"La première fois qu’elle la vit, Andrea sut que c’était une femme battue. Elle n’avait pas encore touché les bleus sur sa peau, devenus violets, marron ; elle n’avait pas encore assisté aux coups, aux cris. Mais il y avait dans la démarche de l’inconnue une crispation, un recroquevillement comme on en trouve chez ceux qui s’excusent d’exister. Chez ceux qui ont peur. L’inconnue se faisait petite, comme si elle craignait qu’on la remarque, comme si c’était scandaleux de se trouver là, marchant sur le trottoir, au milieu des autres.
          On était aux premiers jours d’octobre. L’air était frais et le ciel bas, alourdi de gros nuages menaçants. La petite ville de Black Creek, Caroline du Nord, se hâtait de rentrer chez elle avant la bourrasque. Des pick-up tachés de rouille charriant de gros sacs mous jetés à l’arrière roulaient plus vite, pour arriver avant l’averse et éviter aux occupants de se faire saucer en traversant leur cour. Tout le monde courrait plus ou moins dans les rues, en tenant son chapeau, sa casquette, en relevant son col de blouson. Andrea se surprit à hâter le pas, mais plus pour suivre la femme que pour se réfugier chez elle.
          C’était la première fois qu’Andrea voyait l’inconnue. Elle vivait depuis cinq ans à Black Creek – depuis que sa femme était morte d’un cancer. Bien sûr elles n’étaient pas mariées au sens premier du terme, avec pasteur et registre d’état civil, mais elle avait toujours considéré Dani comme son épouse légitime. Il y avait eu une cérémonie sur la plage, au goût salé, il y avait eu un feu de camp, Dani en jean et blouse blanche, Andréa en jean et blouse noir, yin et yang solaires, les rires avaient fusé toute la soirée et on s’était endormi avec les amis au petit matin, près des braises rougeoyantes alors que le soleil se levait derrière la ville. Dani était son grand amour, sa confidente et son ennemie, le tout à la fois. A sa mort, survenue à petits feux, Andrea avait tout plaqué et quitté San Francisco pour venir s’enterrer dans ce patelin, au milieu de ses 2 584 âmes.
          Andrea était photographe de profession. Elle avait posé des annonces partout dans la ville. Elle avait de l’argent de côté, des beaux dollars qui lui restaient de la vente de son appartement, mais elle ne voulait pas y puiser indéfiniment. Elle avait rapidement eu des coups de fils de villageois, alléchés par ses tarifs et la nouveauté qu’elle suscitait. Il n’y avait pas de photographe à Black Creek, et de mémoire d’homme, il n’y en avait jamais eu. Bien sûr, certains avaient argué qu’on n’avait pas besoin de cette futilité ; mais la méfiance s’était
bien vite dissipée. Andrea avait gagné la confiance des habitants et se déplaçait chez les gens,
y posait son appareil et mitraillait les familles, parfois les enfants seulement.
          Elle était douée avec les gosses, ils avaient une belle trombine sur ses clichés, souriants de toutes leurs dents, même quand il en manquait. Et elle aimait ça, elle demandait si la fée des dents était passée, et les gamins répondaient oui, ils lui montraient leurs trésors,
un beau billet tout neuf d’un dollar pour les plus chanceux.
          Plus tard, quand elle a eu assez de clients réguliers, elle a ouvert une petite boutique sur Kennedy boulevard, en plein centre ville. Sa petite affaire prospérait tranquillement. Andrea se sentait intégrée au patelin. Elle souriait aux gens quand elle les croisait, leur lançait un bonjour amical. Il y a fort à parier que s’ils avaient su qu’elle était lesbienne, ils ne lui auraient pas souri avec cet enthousiasme, mais enfin, elle ne le disait pas, et ce n’était pas écrit sur son visage – même si, à Black Creek, une femme seule, c’était suspect.

Les Ecorchés by Anaïs Grockowiak (Paperback) - Lulu

You must be logged in to post a review. Please log in There are no reviews for the current version of this product There are no reviews for previous versions of this product Lulu Staff has been notified of a possible violation of the terms of our Membership Agreement.

http://www.lulu.com
 
20 octobre 2016

Publication de "Les Ecorchés"

DSCF9517

L'automne s'installe... place aux longues soirées un peu mornes !

Pour vous évader, quoi de mieux qu'un (bon) livre ? Bonne nouvelle : mon dernier roman, Les Ecorchés, vient de paraître !

Profitez vite des 10% de remise pour le lancement !

"Black Creek, Caroline du Nord. C’est dans ce patelin de 2 584 âmes que des destins se croisent pour parfois se mêler : une lesbienne, qui tombe amoureuse d’une femme battue ; un homme qui ne se contrôle pas ; une vieille voisine, qui s’occupe de l’enfant du couple, en ressassant ses secrets ; un sergent de police locale, qui attend avec impatience la naissance de son premier enfant, une institutrice à l’aspect bien trop jovial pour être honnête…

Un roman noir, sur une petite ville comme il y en a tant."

 

Les Ecorchés by Anaïs Grockowiak (Paperback) - Lulu

You must be logged in to post a review. Please log in There are no reviews for the current version of this product There are no reviews for previous versions of this product Lulu Staff has been notified of a possible violation of the terms of our Membership Agreement.

http://www.lulu.com

 

13 janvier 2016

D’Istanbul, je me souviens surtout du ciel. Il

D’Istanbul, je me souviens surtout du ciel. Il avait plu durant toute la semaine ; ciel bas, gris, nuageux, avec des hachures de pluie ; ciel opaque, comme pour nous forcer à garder le regard sur la terre, sur les hauteurs de la ville, la vallée du Bosphore, pour ne pas dépasser les toits des immeubles. Etre dans la ville, et rien que là.

Et puis le soir. L’orange, le rouge qui éclot, comme un matin de printemps ; la nuit qui se lève – la nuit ne tombe pas –, douce, violette, d’un violet profond, de velours, les étoiles qui s’allument, l'ambiance des mille et une nuit chaque soir.

C’était à l’heure de la prière. Dans la ville, les mosquées se réveillaient. Les mosquées sont nombreuses à Istanbul. Grande Mosquées, Sainte-Sophie, Mosquée Bleue. Les dômes arrondis adoucissent les minarets pointés vers le ciel. Masculin-féminin, orient-occident, tout se mêle à Istanbul. Devant, un chant s’élève, langoureux, tenace, pénétrant ; puis derrière ; puis à droite – canon religieux, presque mystique, de voix mécaniques, sortant des haut-parleurs.

Les rues ne s’animent pas, les stambouliotes vivent depuis le matin. Autour de moi, la foule se meut d’une humeur égale. Mais durant cet instant sacré, je communie avec eux. Je suis eux. Je suis la foule. Je suis stambouliote. Pourquoi pas musulmane. Durant ces chants, le ciel mauve se fond dans les blues profonds.

Une explosion. Ce n’est pas cela que je retiens d’Istanbul. Istanbul est une fusion des couleurs, des formes et des parfums. Rien n’y est abrupte, rien ne devrait choquer l’ordre naturel des choses – Istanbul est un cosmos harmonieux. Mais une explosion, pourtant. Près de mosquées. C’est ce qu’ont dit les rares médias qui en parlaient. Pourquoi personne ne parle d’Istanbul ? Et ceux qui l’évoquent ont oublié cette chose essentielle : la quiétude d’Istanbul, la force de son calme, les paillettes allumant le Bosphore quand le soleil se couche.

Istanbul n’est pas Paris, Istanbul est autre chose. Mais parler d’Istanbul, c’est parler de la vie. C’est parler des cœurs qui battent, des souffles qui se mêlent.

Et des pleurs, aujourd’hui.

Publicité
12 mai 2015

Folie

photo-y8yz33

Je marche le long du chemin recouvert de gravier. L'air est frais et piquant. Le ciel d'un mauve paresseux se fond dans l'or du petit matin. Je n'ai pas dormi, je ne dormirai plus jamais. J'ai passé la nuit à errer, prononçant ton nom aux arbres. Les peupliers m'ont répondu que je suis folle, et les reinettes ont ri sur mon chemin. 

Je mangerais mes mains s'il me le demandait, je cesserais de rire s'il me le demandait, je me tairais à jamais s'il me le demandait... Mais il n'a que faire de mes mains, il n'a que faire de ma tristesse, il n'a que faire de mon silence. Il évolue dans ce monde clos où je suis exclue. 

Je l'ai vu hier, je l'ai vu et je l'ai suivi, pas à pas. Il n'a rien remarqué. Demain, j'inviterai une fanfare pour qu'il s'aperçoive de ma présence, demain je lancerai des chiens aux trousses de ses amis. Les chiens les mangeront ; alors il sera seul. Alors il me verra, victorieuse, et il me parlera. 

Je suis allongée sur mon lit et je fume. La lumière jaune de la lampe tamise la chambre, la fumée la rend opaque. J'ai le goût du bourbon en bouche, sur le bout de la langue, contre mon palais. Couchée sur mon ventre, L'invitée, retournée. Près de ma matrice elle est bien. Je scrute les fissures du plafond en pensant à...

...Cette autre sur laquelle il a jeté son dévolu. Je tourne la tête. Elle me regarde de ses grands yeux, des mugissements traversent son baillon. Je vais fermer la porte du placard. 

8 mai 2015

Souvenirs

4570214_5_cd73_ill-4570214-daff-2015020745-0-1486111360cleopatr_b5b94b30bbb58ffa7c3e6694a01d7547

Une odeur de craie. De poussière aussi. Une odeur sèche, presque aride dans l’or qui tombe des larges fenêtres.

On peut fermer les yeux. Il faut fermer les yeux pour se souvenir. Les paupières closes forment un écran et les yeux fermés, on sait où on est. Il suffit de sentir le froid du bois, lasuré encore et encore, gravé de mots presque comblés par le vernis, et ce plat bancal, qui monte légèrement et porte un trou net en son angle. On y met les ciseaux désormais. Plus bas, un siège, maintenu à la table par une barre en fer rond et peint en vert sombre.

Un pot. Des stylos, des crayons. Le chaud du bois, cette fois, entre les doigts. Crayons à papier, crayons de couleurs ; ils ont une odeur fruitée et boisée, une odeur de forêt fraichement taillée. Un petit pot rond. Dedans, emprisonné comme le plus subtil des parfums, un nectar, une odeur chimique qui monte d’une languette blanche en plastique.

Les mains fouillent la case sous le plateau. La pulpe des doigts rencontre une surface plastifiée, froide et légèrement rugueuse. Les mains s’en saisissent ; elles ouvrent le cahier comme un coffre et caressent le duvet des pages encore vierges.

Des odeurs chimiques, des sensations naturelles. Madeleine de Proust tactile et odorante, enfance écolière, lointaine déjà.

A l’heure des tableaux numériques.

A l’heure des tablettes tactiles.

A l’heure des caractères aseptisés.

Le futur se meurt. 

15 décembre 2014

Bientôt Noël...

Noël approche...

En panne d'idée cadeau ?

Offrez un livre

Une Nuit, un roman qui se lit entre deux repas de fête, histoire de digérer...

98303018

Des rues illuminées, des gens paumés, des liens tissés, de la vie, de la vraie.

Une Nuit, au prix de 13 euros - port inclus. 

Me contacter sur cette page.

27 novembre 2014

L'errante

Je n’ai pas voulu ça, être enceinte, mais ça m’est tombé dessus sans crier gare, par un beau matin d’hiver, avec de la buée sur la vitre des toilettes et du givre sur les toits, avec un ciel bas et pur et le vol des étourneaux, en masse compacte et sensuelle, de haut en bas et de bas en hauts, avec des piquets et des loopings, et c’est cette image qu’il me reste de ce matin-là, ces piafs noirs sur le ciel blanc, et puis le blanc de la cuvette quand j’ai vomi dedans.

J’ai su que j’étais enceinte, c’était le troisième matin où je n’avais pas toléré le café noir, où mon estomac s’était rebellé, et j’ai bien senti le regard de maman sur moi, ce regard farouche, ces yeux qui disent « toi ma fille, tu me caches quelque chose », ce regard qui savait que ce n’était pas la gastro que je couvais, mais bien autre chose, mais bien pire.

J’avais encore les mains agrippées au rebord de la cuvette, j’avais encore la bouche ouverte en « oh » estomaqué, lorsque j’ai décidé d’aller chez le docteur Cornette seule, lorsque j’ai décidé qu’il fallait que je sache si ce qui me laminait depuis trois jours était vrai, si ce que j’avais fait dans mes draps froissés par un après-midi pluvieux avec un certain type de ma connaissance m’avait bien foutu dans cette merde atroce. Dans la cuisine, maman faisait la vaisselle en écoutant Giscard.

Je ne savais pas quoi faire encore, je ne savais pas comment annoncer ça à mes parents. Je n’étais qu’une gamine de vingt ans, moi, j’avais été élevée dans la morale et la foi par des parents aimants et justes, sévères mais bons, et je sentais bien que j’aurais déçu tout le monde avec mon gros ventre. Alors, j’ai passé un manteau sur ma salopette en jean et je suis sortie dans ce matin froid, les mains dans les poches, le nez dans mon écharpe de laine couleur brique, et les étourneaux valsant toujours au-dessus de ma tête.

Mes pas crissaient sur le gravier du chemin qui mène à notre ferme. Il n’y avait personne sur la route, pas une voiture ou un vélo, pas même de paysan dans son champs, rien que moi, moi et mon foutu ventre que je haïssais. Car je le haïssais ce traitre, cette ordure, peut-être plus que Gérard lui-même, qui au fond n’en pouvait pas plus que moi. Non, c’était mon corps qui m’avait lâchement abandonnée, qui avait pris un chemin qui n’était pas le bon, qui avait décidé pour moi et contre moi.

Une forme est arrivée au loin, une forme qui tanguait et qui zigzaguait dans les ornières laissées par la Citroën de papa. La forme s’est approchée et alors j’ai vu que c’était Gérard sur son vélo, Gérard qui me faisait signe et qui riait. Il s’est rangé à côté de moi et a essayé de m’embrasser, mais je l’ai repoussé. « Laisse-moi… Laisse-moi, que je te dis ». Il a réessayé mais je me suis débattue. « Fous-moi la paix, j’ai autre chose à faire ! ». Et j’ai poursuivi mon chemin, en plantant là Gérard qui me regardait sans comprendre, sans même m’appeler.

Je suis entrée dans le village et j’ai eu peur. Peur des gens, peur qu’ils ne comprennent ce qu’il m’arrivait. J’ai baissé la tête en ayant un air encore plus coupable et je suis entrée chez le docteur Cornette. Il y avait déjà des gens dans la salle d’attente, des gens qui levèrent leur face blême à mon entrée. Deux vieilles et une jeune mère avec son petit. L’une des deux vieilles tenait dans sa main fripée un chapelet et la mère berçait son enfant avec douceur. C’est de ça aussi que je me rappelle, la vieille et la mère, Jésus et l’enfant. Je me suis assise en m’excusant et j’ai attendu mon tour, la nuque pliée en deux pour qu’on m’oublie.

Le temps ne passait pas. Les deux vieilles et la mère restaient à leur place. J’étais ankylosée, j’étouffais, je m’asphyxiais dans l’atmosphère viciée du cabinet, cette atmosphère de maladie et de médicaments, chauffée à blanc et humide. Puis soudain la porte du cabinet s’est ouverte et un homme en est sorti. La vieille au chapelet s’est levée et y est entrée. Alors, ça a été plus vite ; ce fut rapidement au tour de la jeune mère, puis celui de l’autre vieille.

Et alors j’ai eu peur. Au lieu de me réjouir j’ai eu peur. Je savais que ce serait bientôt mon tour, qu’il faudrait bientôt parler, dire la chose au docteur Cornette, celui qui soignait maman et papa à la maison et qui serait bien étonné de me voir là, avec ma mine défaite.

La porte s’est ouverte une dernière fois. La vieille est sortie et m’a glissé un sourire. J’étais tétanisée sur ma chaise, je ne pouvais plus bouger. Je pouvais encore partir, il fallait que je m’en aille, personne ne m’avait forcée à venir ici. Mais la face ronde du docteur Cornette est apparue et il m’a lancé un « ah, toi, ici ? Comment vont tes parents ? ». Muette, j’ai trouvé la force de me lever et j’ai avancé vers lui en lui tendant ma main glacée.

Je suis entrée dans son cabinet et je me suis assise sur la chaise encore chaude des trois femmes qui m’avaient précédée. Je n’ai rien dit, je l’ai écouté me parler de mes parents, ces bien braves gens qu’il aimait beaucoup. Puis il m’a enfin demandé cette question redoutée « alors, qu’est-ce qui t’amène ? »

Alors je lui ai dit, les nausées, les vomissements, la douleur aux seins, les règles qui ne venaient pas, et j’ai eu bien du mal à lui en parler de tout ça, à lui qui m’avait mise au monde, j’ai continué, avec Gérard et le lit en plein après-midi, et j’ai vu son visage s’allonger, ses mâchoires se décrocher lentement, son regard se vider, mais je lui ai tout dis, j’étais lancée, et à la fin, j’ai pleuré.

Il m’a fait pisser dans un bocal. « Il faut faire un test », il m’a dit. Il m’a expliqué le coup des grenouilles, qui ponderaient ou pas, les résultats qui viendraient bien assez tôt, puis il m’a lâché « tes parents sont au courant ? »

Non. Peut-être. J’espère que non.

Il m’a regardée profondément, et il a soupiré. Je n’ai rien dit, lui non plus. Il a passé son visage dans ses mains et il m’a regardé encore plus intensément.

Et alors j’ai senti la colère monter. Il avait l’air plus embarrassé que moi. Mais c’était bien moi qui était à plaindre, c’était bien moi qui était dans la merde ! Je me suis levée et je l’ai regardé une dernière fois, puis je suis sortie et je suis rentrée chez moi. Il faisait toujours aussi froid mais j’avais les joues en feu, et à mi-chemin, j’ai tapé mon ventre, j’ai frappé, j’ai tambouriné et je me suis agenouillée, prise d’une nouvelle crise de larmes. Je m’en foutais qu’on me trouve là, d’ailleurs je pouvais bien me foutre en l’air, si c’était ma dernière chance d’y échapper.

Je me suis finalement levée sans que personne ne me voit là et je suis rentrée chez moi. Maman était dans la cuisine et faisait chauffer du café sur le gaz. Madame Mallot, la voisine, était attablée, avec son foulard encore sur la tête. Elles me regardèrent passer, et j’entendis maman marmonner un truc, comme quoi j’étais bizarre en ce moment, et madame Mallot confirma que les jeunes gens étaient bien instables à un moment où à un autre, que c’était l’époque qui voulait ça, et que depuis mai 1968 tout partait à vau-l’eau.

J’ai fermé la porte de ma chambre et je me suis assise sur mon lit, les coudes sur les genoux, supportant ma lourde tête. Les ressorts ont crissé et je me suis enfoncée dans les draps. Je me sentais étouffer entre les quatre murs tendus de papier peint aux globes orange vif sur rose indien. Les ronds grandissaient et il me semblait entendre les voix de maman et de madame Mallot monter, amplifier et m’entrer de force dans la tête.

Je dois attendre, attendre les résultats, attendre de retourner chez le docteur Cornette, attendre son sermon, ce matin il était trop atterré pour le faire. Je dois attendre, mais attendre quoi ? Je me perds dans les bulles orangées, dans ce rose oppressant, je me noie, j’étouffe, je m’agrippe aux draps, je regard mon ventre, les murs, la fenêtre, et mon regard tombe soudain sur un cintre, et il s’arrête dessus.

Je me lève lentement, je prends le cintre, le métal et froid et la fine tige me rentre dans la paume, plie ma peau. Il est fin, et se tord facilement. J’hésite. Maman parle en bas avec madame Mallot. Leur murmure est presque réconfortant. Je déboutonne ma salopette et la fait glisser sur mes jambes. Je suis en pull et culotte, et je ne sais pas ce que je fais comme ça. Je retourne sur mon lit, le cintre entre les mains, je le tords, je le lisse et fais chauffer le fer entre mes doigts. Presque nue, je frissonne, mes poils se hérissent à la surface de ma peau blanche. Je soulève mon pull et je vois mes veines courir sur mon ventre. Je me relève et enlève ma culotte, je la fais glisser, en boule, sur la moquette, et je m’accroupis. Je prends le cintre et je ferme les yeux. Je le glisse, doucement, jusqu’à sentir une résistance. Mon visage se crispe, je serre les dents, mais je tiens bon, et j’enfonce.

Je sens une déchirure, puis une douleur lancinante, je crie, je hurle, et j’enlève le cintre qui dégouline de sang, une goutte tombe de mon corps, puis deux, puis un mince flet, et je tombe à la renverse, j’hurle en entendant maman et madame Mallot monter l’escalier.   

Des voix. Maman. Papa. Le docteur Cornette. Puis des voix encore. Des voix inconnues qui me soulèvent et me portent. Des voix tendues, des voix crispées. Et des murmures.

Je suis dehors, je sens le froid. Mon corps gelé tremble et pourtant, je sens quelque chose de chaud entre mes cuisses, quelque chose de chaud et de gluant. On me glisse dans l’ambulance qui repart rapidement et laisse derrière elle mes parents et leur ferme. Je sens les cahots de la route sous les roues. L’infirmière regarde droit devant elle et semble m’ignorer. Je pouvais bien me foutre en l’air. C’est ce que j’ai fait.

 

Chaque année selon l’OMS, 47 000 femmes meurent des suites d’un avortement clandestin ou pratiqué chez elles dans des conditions insalubres.

 

20 septembre 2014

Extrait d'Une nuit : André et Monique

            Il ne pouvait se résigner à entrer chez lui, à allumer le lustre de la chambre, à tout balancer à Jeannette. Il se voyait le faire - « J’ai un truc à te dire Jeannette » ; elle s’assiérait complètement dans le lit ; « J’ai une maîtresse » ; elle le regarderait avec effroi, avec horreur, elle blêmirait sans rien dire ; il prendrait sa tête dans ses mains et s’effondrerait sur lui-même ; « je suis un misérable ! ». Mais il n’en avait pas la force.

            De rage, il tapa sur son volant, ce qui n’eut pour seul effet de lui faire mal. Et de klaxonner.

            « Oh le con », siffla-t-il entre ses dents. Il attendit, mais aucune lumière ne s’alluma, dans aucun pavillon. Il attendit quelques instants, puis remit le contact, et s’éloigna lentement, en regardant dans son rétroviseur son pavillon crème s’éloigner, puis disparaître à l’angle de la rue endormie, derrière les troènes.

            L’avantage, c’était qu’il n’était attendu nulle part. Pas besoin de décider : il n’avait qu’à rouler, jusqu’au petit matin. Errer comme une âme en peine…

            Ou alors…

            Il reprit la route de Paris.

 

*

 

Les mains cramponnées sur le volant, il jetait alternativement son regard vers la droite et vers la gauche. Une brindille dans un talus, voilà ce qu’était Monique, une brindille. La ville grouillait, fourmis rouges, fourmis noires, creusant galeries et terriers, et il n’était pas possible, dans cet amas vivant, de détecter Monique, les yeux noisette de Monique, l’accent Ch’ti qui revenait quand elle s’emportait – rarement – les tâches de son du nez de Monique, tout cela s’était évaporé, mêlé aux brumes de la ville.

            André s’inquiétait. Monique devrait être là, quelque part. Monique ne dormait pas dans son lit, en banlieue est. Monique devait être en ville, et Monique n’y était pas. Cela faisait trois quarts d’heure qu’il cherchait. Il avait fait tous les lieux où elle allait habituellement, rue Saint-Denis, place de la République, et même au Bois de Boulogne. Il savait que c’était son endroit de prédilection et l’avait fait en dernier, en jouant sa dernière cartouche. Mais Monique n’y était pas.

            Alors, il s’était mis à errer dans les rues, à arpenter plutôt la rive droite que la rive gauche, les avenues, les boulevards, les petites rues. Il s’était glissé lentement vers les hauteurs de Montmartre, était redescendu, et c’était là qu'il avait frémi.

 

            Un dos.

            Une démarche.

            Un style.

            Monique.

 

            Il klaxonna. Il redoubla d’intensité. Tant pis pour le tapage. Monique se retourna, surprise et était prête à s’enfuir en courant.

            Puis elle s’arrêta. Elle se tassa.

            Et elle fondit en larmes, Monique.

            Ma petite Monique, c’est moi, ne pleure pas.

Publicité
1 2 3 4 5 > >>
Adèle Chartier
Publicité
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 5 363
Pages
Publicité