Livre sacré

Ecornés, déchirés, oubliés, les livres sont malmenés. On les laisse retournés, gisant à terre, on marche dessus, quand on ne les monte pas simplement au grenier, dans une caisse, un carton qui prend l'eau...

Et pourtant, les livres sont sacrés. On rechigne à passer à l'e-Book, cette espèce de blague venue du futur. On les conserve autour de soi, grigris modernes, doudous d'adultes. On hume les odeurs des pages, jaunies des livres de poche, chimiques des nouveautés de la rentrée. On les presse contre son cœur à l'heure des dédicaces, et on repart, souriant de posséder son livre personnalisé.

On relie les livres qu'on a aimés. On souligne des passages, on note des extraits. Les livres, les romans en particulier, ce sont des amis précieux que l'on sort avec joie dans les RER, les métros, les avions. Les livres comblent nos vides et l'ennuie qui pourrait nous tomber dessus à tout instant.

Les écrivains aspirent aux livres. On veut voir son manuscrit relié, posséder son fichier Word entre ses mains tremblantes et fières. Les couvertures, qui peuvent mentir, les résumés, alléchants, les "du même auteur", qui nous comblent d'aise car on va pouvoir, on le sait, continuer de lire ces mots insensés...

Et puis les livres sont sacrés car ils dérangent. Les livres ont cela d'étrange qu'ils ne seront jamais destitués, même s'ils sont interdits, même si on est menacé de prison à vie.

Les livres sont, en vérité, bien plus que des objets.

Comments

[arigondas]

Je suis d'accord avec toi. Ce support papier a un aspect magique. Et bien que je lise assez souvent des ebook, je me languis de ce passage. Pas pour moi-même, mais pour les autres. A qui vais-je prêter ce livre virtuel ? Qui pourra le trouver par hasard en fouillant dans une bibliothèque comme cela m'arrive souvent ?

C'est ce qui me désole le plus dans cette civilisation numérique : espionnés, pistés à 100% mais sans aucune trace pour nos descendants.