Extrait d'Une nuit : le SDF

          Il était reparti vers Boulogne. Il avait passé la porte Maillot, vu les lapins qui lapinaient dans l’herbe, avait franchi le boulevard périphérique et avait bifurqué vers le nord, en contemplant l’arche de La Défense, illuminée dans la nuit par le dessous, un maestro grandiose, une allégorie de la puissance financière qui contrôlait le monde.
          Lui se fichait bien de tout cela. Passé les Hauts-de-Seine, il avait franchi la frontière de l’indicible, la Seine-Saint-Denis, et ses bouges, et ses sociétés, fallait-il être fou pour s’implanter ici, mais enfin, c’était moins cher qu’à Paris, et il déboucha entre les buildings qui mangeaient le ciel. Il y était.
          Si encore c’était beau !
          Et dans cette coulée de béton, dans cet océan macadamisé, il vit le salut, il vit un square, enfin, des arbres, du sol en gravier importé, des petits bancs. Il s’installa, posa son barda sur le banc et sortit précautionneusement de sa poche la seringue.
          Il alluma la torche, qu’il dirigea vers son bras gauche. La veine était là, comme d’habitude. Il lui semblait qu’elle rayonnait, qu’elle savait ce qu’il allait se passer et qu’elle était prête, qu’elle coopérait.
          « Viens là, ma jolie. »
          Il avança l’aiguille, et posa son pouce sur le poussoir. L’aiguille incurvait sa peau, et il était prêt à la rentrer. Il inspira un grand coup et bloqua sa respiration. L’aiguille était enfoncée. Cela picotait, mais il n’attendit pas, il ne réfléchit pas, et il enfonça du pouce le liquide dans sa veine, dans son corps, il intégra le trésor en lui, puis sèchement, il retira la seringue et la balança au loin, sans se soucier des enfants qui pourraient trainer dans le coin demain matin, il se cala, ferma les yeux, et attendit.

Une nuit

166 pages
110 x 155
13 euros (frais de port inclus)
Lecture, avis et commandes sur Bibliocratie.