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Adèle Chartier
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25 août 2014

Extrait d'Une nuit : Anh Dao Linh

anh dao linh

          Anh Dao Linh réajuste son gilet et pénètre dans le couloir. Ses pieds nus frôlent le parquet, et elle semble flotter plutôt que marcher. Le couloir est très sombre, mais Anh Dao Linh ne veut pas allumer. L’obscurité appelle le silence, et cette atmosphère l’apaise. Elle descend à la cuisine et sort un grand verre qu’elle remplit d’eau minérale.
          L’eau est glacée. Le froid glisse contre son œsophage et elle sent chaque cellule de muqueuse, chaque ramification de son système digestif. Mais le froid prend également une direction opposée, et remonte le long de son nez, traverse le front pour exploser dans son crâne.
          Elle boit son verre d’eau d’un trait. La douleur qui lui vient lui semble salutaire. Elle se reverse un grand verre, qu’elle enfile d’une traite. Le troisième suit de peu le second, tout pareil au quatrième. Anh Dao Linh, qui a entamé la bouteille, la termine. Elle ratatine le corps vide en plastique transparent et va au garage chercher deux autres bouteilles, une dans chaque main pendue à ses maigres poignets. Elle dépose ses biens au congélateur et attend, assise sur une chaise, devant la porte vitrée.
          Dans le jardin, les cerisiers fleurissent. Sous la lune d’argent,  les petites fleurs se teintent de bleu. Anh Dao Linh voit tout mais ne regarde rien. Insensibilisée, le paysage lui inspire le néant. Tout juste emplit-il sa vision pour qu’elle n’ait pas le loisir de penser. Le front collé à la vitre, à genoux, elle est mordue par le froid du verre.
          Au bout d’un quart d’heure, elle va prendre la température de bouteilles. L’eau, à travers le plastique, endolorit ses doigts dorés, mais elle n’est pas solidifiée. Elle pose une bouteille sur la table et boit le contenu de l’autre au goulot.
          Le liquide l’ankylose. L’eau étouffe ses pensées, les noie petit à petit. Elle a les yeux fixés sur le mur d’en face, à mesure que l’eau glacée emplit son ventre. Elle aime cette sensation d’en être remplie, et elle en est à ses trois litres : son abdomen est bien arrondi, et tranche avec sa maigreur.
          Elle va à la salle de bain et se contemple. Elle y prend plaisir cette fois, mais ce n’est pas encore assez. Sa déformation ne sera complète que lorsqu’elle se verra avec horreur. Là elle est juste risible, songe-t-elle. Elle retourne à la cuisine déboucher la troisième bouteille.
          Le froid de cet autre litre cinquante ne la touche plus.
          « Preuve que c’était nécessaire », pense-t-elle. Mais en vérité, elle ne pense plus.
          Devant sa glace, elle a un frisson.
          Ça y est ; plus qu’à faire pipi.
         Il faudrait attendre, pour cela. Anh Dao Linh remonte dans sa chambre s’allonger sur son lit, au rythme du glouglou de ses tripes.

 

Pourquoi Anh Dao Linh est-elle dans cet état ?

Une nuit

166 pages
110 x 155
13 euros
A commander sur Bibliocratie

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Adèle Chartier
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